Le premier recueil de poésie de Jan Skudlarek, une vision non conventionnelle du monde du 21e siècle
Electrosmog – on entend par là un ensemble de champs électriques, magnétiques et électromagnétiques qui peuvent avoir des effets potentiellement nocifs sur la nature et ses organismes vivants comme l’homme et l’animal. Connoté par de grandes craintes et revenant régulièrement dans le discours public, l’électrosmog est également entré dans la poésie : Elektrosmog est le titre du recueil de poésie de Jan Skudlarek paru en 2013 chez luxbooks. Âgé d’une vingtaine d’années, il est le représentant de la génération qui, dans sa jeunesse, a vécu de près les évolutions rapides de la technologie dans tous les domaines de la vie, en particulier le développement des ordinateurs, d’Internet et des téléphones portables. Sa poésie utilise le langage de ce monde hautement technologique et des appareils électroniques : ‘Laptop’, ‘Systemneustart’, ‘High Definition’ – ce sont des mots que l’on rencontre rarement dans la poésie. Les désignations techniques qui accompagnent notre quotidien de manière intensive recèlent un type d’imagerie inattendu et hautement productif. Skudlarek les associe à des expériences subjectives ou à des phénomènes naturels, et montre ainsi à quel point non seulement notre mode de vie, mais aussi notre vision du monde sont influencés par la technologie de ces vingt dernières années. Son langage n’est pas seulement imprégné d’anglicismes et de mots étrangers issus du domaine technique, mais aussi de termes issus d’autres langues spécialisées, qui ne sont pas toujours d’usage courant. En tant que “sémiotique
Skudlarek transpose ainsi des perceptions connues de tous en de nouvelles images encore inconnues de la poésie – comme par exemple le changement de saisons dans le poème “als karnivorer winter” : ici, l’automne “résonne tout au plus comme une faible résonance”, tandis que “en novembre, la première phase de test est terminée”. Ailleurs, un matin d’hiver gris est métaphoriquement capturé comme “un écran bleu au-dessus de la ville”. Quiconque a déjà fait l’expérience d’un tel écran bleu sur son écran d’ordinateur après une panne critique du système sait se mettre dans cette situation fatale. Chez Skudlarek, les métaphores ne sont en aucun cas boiteuses, elles touchent directement le cœur de notre expérience contemporaine. Il en résulte souvent un ton grave, qui met en garde contre la déshumanisation et l’aliénation de la nature. Chez Skudlarek, l’opposition homme-machine est totalement abolie et les hommes deviennent des êtres hybrides. Lorsqu’il fait froid, les acteurs inconnus d’un poème réduisent leur “corps / température”. Les corps deviennent des machines, des “carrosseries de chair / et de sang artificiel”. La couverture et les illustrations, réalisées par la poétesse Simone Kornappel, soulignent ce conflit. Il s’agit principalement de collages qui placent de vieilles photographies en noir et blanc d’hommes et de femmes dans des environnements câblés, bizarres et différents. Les corps sont en partie déformés, portent des excroissances bizarres sur la tête ou sur les jambes. C’est là qu’intervient la question existentielle de savoir qui ou ce que les gens, ce que nous sommes, sont réellement. La réponse de Skudlarek à cette question décrit l’infinie complexité de notre intérieur avec ces mots simples mais pertinents : “nous ne sommes nous aussi que des touristes dans nos corps”.
Non conventionnel’, c’est ainsi que l’on pourrait décrire la manière dont le jeune poète fixe les perceptions de manière poétique. Lorsqu’il lit “im quellcode der kindheit” (dans le code source de l’enfance) et qu’il transforme poétiquement des expériences sensorielles – comme le bruit de la mer que l’on entend dans un coquillage – il fait preuve d’une grande justesse picturale. Les modifications de la perception dues à l’ivresse lors de fêtes et de danses exubérantes sont également thématisées dans les poèmes : Dans “magische pilze – sixtinische lamellen”, l’influence des substances chimiques sur la psyché et le corps est reproduite, et dans “sex machine”, le traitement lyrique de l’acte d’amour constitue l’un des points culminants électrisants du recueil de poèmes.
Ce qui égaye ces poèmes sans rimes, c’est (typographiquement) aussi bien la police moderne et agréablement claire que l’interligne aéré, mais surtout les jeux de mots pleins d’humour, auxquels une minuscule conséquente donne une énorme marge de manœuvre. Par exemple, lorsqu’une lune qui se déplace dans le ciel montre “un engagement physique total”, un ton drôle et décontracté se mêle au ton lourd et pensif. Toutefois, les technicisations répétitives paraissent exagérées et un peu grossières au plus tard lorsque le soleil se ‘déconnecte’ lors de son coucher ou lorsqu’il est ‘en attente / en boucle’ derrière les nuages. Mais Skudlarek va jusqu’au bout de son style. Il nous lance un défi provocateur, non sans réfléchir à sa poésie elle-même, et prouve que la poésie fonctionne aussi avec des mots anguleux et sans lyrisme comme ‘offline’ ou ‘bootet’.
Selon une citation de la poétesse américaine Anne Rich qu’il place en tête de son recueil, la poésie est pour Jan Skudlarek un échange de courants électriques. Le poète en a apporté la preuve avec l’électrosmog. Il laisse nos pensées changer d’état d’agrégation, comme il l’illustre lui-même, et livre avec ce premier recueil de poèmes une contribution notable à la poésie allemande contemporaine.
Une contribution d’Isabel Steinmetz de la rédaction “Gegenwartskulturen” de l’Université de Duisburg-Essen